Blogs

Contester le budget devant les tribunaux

You are viewing the French translation of this post. View the English version here.

« Les tribunaux sont l’une des rares institutions qui ont résisté à l’autocratie », explique Duncan Green, conseiller stratégique principal d’Oxfam Grande-Bretagne dans son livre. How Change Happens. Même si cette affirmation est discutable, elle s’est avérée vraie dans de nombreux contextes illustrant qu’une stratégie de recours aux tribunaux mérite d’être sérieusement prise en considération par les groupes budgétaires de la société civile, d’autant que de plus en plus de personnes travaillent dans des espaces publics de plus en plus restreints. Au cours de ces dernières années, de nombreuses OSC ont fait appel aux tribunaux pour obtenir des gouvernements l’accès à l’information en vertu des Lois sur le droit à l’information. Là où un nombre plus limité d’OSC commencent à innover, c’est qu’en se tournant vers les tribunaux, elles souhaitent contester les politiques et les pratiques budgétaires du gouvernement – par exemple, sur des questions telles que la sous-utilisation des programmes sociaux ou la discrimination dans les dépenses. Les tribunaux ont accepté de traiter un certain nombre d’affaires et ont statué en faveur des demandes de la société civile dans de nombreuses autres.

Pourtant, alors qu’il serait tentant d’encourager toutes les OSC budgétaires à intégrer une composante juridique dans leurs stratégies de plaidoyer, l’accès aux tribunaux peut exiger beaucoup de ressources et de temps. C’est pourquoi les OSC ne s’adressent généralement aux tribunaux qu’en dernier recours, lorsque tous les recours par voies administratives normales ont échoué, ou que le gouvernement est si insensible à l’opinion publique qu’un engagement direct serait inutile. Même dans ces cas, la décision de saisir les tribunaux ne doit être prise qu’après mûre réflexion. Une publication récente de l’Overseas Development Institute (ODI – Institut de développement d’Outremer) discutant d’une décision rendue en 2008 par la Cour suprême du Bangladesh fournit des indications utiles à la société civile.

Sur la base de ses recherches, ODI affirme que les actions légales doivent remplir certaines conditions minimales pour avoir une chance réelle d’améliorer les résultats pour les populations pauvres : un cadre juridique progressif, un système judiciaire favorable et un accès à des conseils juridiques doivent être possibles. Les expériences des partenaires de l’IBP à ce jour concernant les cas impliquant le budget public semblent le confirmer.

Une affaire poursuivie par l’Asociación Civil por la Igualdad y la Justicia (ACIJ) en Argentine reposait sur une disposition de la constitution de la ville de Buenos Aires qui garantit le droit à l’éducation à tous les enfants âgés d’au moins 45 jours. . En réponse aux défis associés au manque de places dans les écoles et aux longues listes d’attente qui en résultent, notamment dans les quartiers pauvres, les autorités municipales affirmaient qu’elles n’avaient pas suffisamment de fonds pour construire et créer un nombre suffisant de salles de classe pour respecter ses obligations constitutionnelles. L’ACIJ a fourni des preuves devant le tribunal qu’au cours de ces dernières années, le gouvernement avait non seulement sous-utilisé en permanence son budget d’infrastructure, mais avait détourné de manière disproportionnée les fonds qu’elles avaient dépensés vers des quartiers plus aisés. Le tribunal a jugé que le gouvernement avait violé le droit des enfants à l’éducation et lui ordonna de construire les salles de classe nécessaires pour éliminer les listes d’attente.

L’exemple le plus convaincant du pouvoir que détient un système judiciaire pour changer la vie des gens est illustré par la Cour suprême indienne. Lorsque le gouvernement du Rajasthan a refusé d’utiliser les réserves de nourriture d’urgence face à une famine généralisée, il s’est retrouvé devant les tribunaux, les plaignants accusant le gouvernement de violer le droit des personnes à se nourrir dans cet État. L’affaire a finalement été traitée par la Cour suprême, qui a ordonné aux gouvernements nationaux et étatiques de financer pleinement et de mettre en œuvre efficacement une série de programmes, dont certains traitaient directement de l’alimentation (tels que les programmes alimentaires scolaires) et d’autres programmes liés à la capacité des habitants à se nourrir correctement ((tels que des programmes d’emploi). La Cour a conservé ses pouvoirs de surveillance sur l’affaire depuis 2001, en publiant une série d’ordonnances provisoires et en nommant des commissaires qui surveillent et analysent le respect par le gouvernement des ordonnances de la Cour.

Duncan Green déclarait, « La loi restera une arme essentielle dans l’arsenal des militants du monde entier… Le défi consistera à construire des passerelles entre l’activisme juridique et les autres efforts pour influencer le système, sachant que les deux mondes sont souvent divisés par l’impatience, les différentes théories du changement ou le gouffre de la langue. » En effet, de nombreux avocats sont allergiques à la multitude de chiffres dans les budgets publics, mais au cours de la dernière décennie, les avocats qui défendent les causes d’intérêt public apprécient de manière croissante la centralité des budgets publics pour bon nombre de leurs sujets de préoccupation. Cette situation s’accompagne d’une volonté d’apprendre le jargon ainsi que les questions techniques, juridiques et politiques entourant les budgets. Ce sont les avocats défendant les causes d’intérêt public, par exemple, qui ont porté l’affaire du droit à l’alimentation devant la Cour suprême indienne décrite ci-dessus. En Afrique du Sud, le Centre de ressources juridiques d’intérêt public a joué un rôle dans une affaire que la Treatment Action Campaign (TAC) a porté devant la Cour constitutionnelle qui contestait l’incapacité du gouvernement à financer les médicaments et les traitements antirétroviraux (ARV) en vue d’éviter la transmission du VIH des mères enceintes à leur enfant.

Les tribunaux ont toujours hésité à intervenir dans les questions budgétaires en raison d’une croyance erronée selon laquelle toutes les décisions budgétaires relèvent uniquement de la compétence du législateur. Les OSC qui ont réussi à surmonter cette réticence à obtenir des décisions favorables se heurtent souvent à l’obstacle visant à assurer que le gouvernement respecte les ordonnances du tribunal. Dans l’affaire survenue en Argentine mentionnée ci-dessus, le gouvernement a pris son temps pour respecter l’accord supervisé par le tribunal conclu avec l’ACIJ. Après avoir tenté de faire respecter les décisions pendant quelques années au moyen des canaux convenus, l’ACIJ a déployé des efforts multiples pour faire pression sur le gouvernement. L’association a notamment fait pression sur le ministre de l’Éducation, consulté les médias et lancé des pétitions en ligne pour renforcer les efforts de l’ACIJ afin que l’assemblée législative assure le financement approprié de l’éducation. Cet effort a réussi à persuader le gouvernement de mener à bien l’accord.

En effet, les stratégies les plus efficaces permettant d’assurer que les litiges auront un impact positif sur la vie des populations pauvres semblent être celles qui associent l’action en justice à la mobilisation populaire. Les manifestations à grande échelle et spectaculaires que la Treatment Action Campaign a réussi à organiser régulièrement ont été la clé incontestable du succès de la campagne de la TAC. Les tribunaux ne sont pas à l’abri de la pression que génère une telle mobilisation grâce à l’attention des médias qui, à son tour, provoque l’indignation publique et des appels à l’action à large assise. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour la Social Justice Coalition (SJC), un partenaire de l’IBP, qui a déposé une plainte à l’automne 2016 dans le cadre de sa campagne en cours pour améliorer les services d’assainissement de base dans les quartiers informels de la ville du Cap. Comme dans l’affaire de la TAC, le litige de la SJC sera renforcé par un effort intense pour mobiliser les habitants et impliquer les médias au fil des années.

À mesure que l’espace public se rétrécit dans les pays du monde et que les appels lancés aux organismes gouvernementaux et aux législateurs deviennent plus difficiles et souvent inefficaces, il peut être plus difficile de s’adresser aux tribunaux. Un cadre juridique antérieurement progressif, par exemple, peut être abrogé et remplacé par des garanties plus faibles. Néanmoins, alors que les OSC poursuivent leur quête de moyens créatifs et efficaces pour faire progresser les droits de ceux qu’elles représentent dans un environnement de plus en plus hostile, il est essentiel de se souvenir de la sagesse de Duncan Green. Les tribunaux, en tant que branche distincte du gouvernement, agissent souvent par conviction quant à leur propre autonomie et importance, et offrent une réparation là où il n’en existe pas autrement.

Authors
About this insight
Related topics & Initiatives
Related Countries & Regions
Global