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Lorsque le Freedom Forum, une organisation de la société civile basée au Népal, a décidé d’utiliser les lois du droit à l’information (Right to Information – RTI) du pays pour enquêter sur les fonds spéciaux alloués aux parlementaires, ils ont découvert une vaste panoplie de projets coûteux et inutiles. Des fonds destinés à des projets d’infrastructure et de développement ont été dépensés pour l’achat d’instruments de musique, détournés vers des monastères et des bâtiments municipaux en négligeant la règlementation. En outre, les fonds étaient acheminés aux proches du parti.
De telles dépenses nébuleuses étaient acheminées par le biais des Constituency Development Funds (CDF) [Fonds de développement des collectivités] du Népal, un mécanisme d’allocation de fonds du Trésor destinés aux dépenses des parlementaires dans leurs circonscriptions locales. En utilisant la loi sur le Droit à l’information du Népal pour enquêter sur les CDF, Freedom Forum a tracé minutieusement comment l’argent avait été dépensé et comment les projets étaient censés être administrés. L’organisation a ensuite travaillé avec des journalistes d’investigation pour rassembler une série de rapports révélant le mauvais usage de l’argent public.
Le problème avec les Fonds de développement des collectivités
Les partisans des CDF affirment généralement que les fonds bénéficient directement aux communautés locales et que les parlementaires, qui sont plus proches de leurs propres circonscriptions, sont bien placés pour identifier les besoins de la communauté. Pourtant, comme l’a signalé Albert van Zyl de l’IBP, les CDF sont minés par de nombreux problèmes systémiques. En plus d’être soumis à la corruption et à la manipulation politique, les CDF peuvent compromettre la responsabilisation de manière plus générale, notamment en violant la séparation des pouvoirs entre le rôle de l’exécutif dans la mise en œuvre des décisions budgétaires et le rôle de la législature dans leur supervision.
De tels problèmes n’avaient pas échappé à l’attention du public népalais. « Fondamentalement, il s’agissait de montants importants de ressources publiques [qui étaient] attribuées aux législateurs, suscitant l’intérêt du public. Ainsi, il a été demandé de recueillir des preuves sur la façon dont les fonds avaient été dépensés, si les critères fixés relatifs à la gestion des fonds avaient été respectés et s’ils avaient atteints les bénéficiaires finaux », a déclaré Taranath Dahal, Directeur exécutif du Freedom Forum. Il a ajouté que de nombreuses critiques avaient été émises par le public sur l’attribution des fonds aux parlementaires dont le rôle devrait se limiter à voter des lois. Freedom Forum a décidé d’enquêter.
Utiliser le droit à l’information
Au Népal, il existe deux types de CDF. Une allocation générale moins élevée est accordée à l’ensemble des 601 membres du Parlement (les députés) et un montant beaucoup plus élevé, consacré spécifiquement aux infrastructures, est versée à un sous-groupe de députés. Au total, près de 3,3 milliards de Roupies népalaises (plus de 30 millions de dollars US) sont dépensés par le biais des CDF et de nombreux députés souhaiteraient une augmentation des fonds circulant par ce biais. Chaque type de CDF est régi par un ensemble de règles distinctes sur la façon dont l’argent peut être dépensé, identifie les organisations qui peuvent mettre en œuvre des projets et les types de mécanismes participatifs qui doivent être adoptés.
Compte tenu de la complexité de l’administration des CDF, Freedom Forum devait rassembler un éventail de documents budgétaires et politiques pour vérifier si les règlements étaient bien respectés.
Le score de 24 de l’Indice sur le budget ouvert obtenu par le Népal en 2015 place le pays parmi les pays d’Asie du Sud les plus transparents. Il a enregistré une baisse marquée par rapport à son score de 44 obtenu en 2012, du fait que le gouvernement n’avait pas publié le Projet de budget de l’exécutif. Pourtant, le pays a été l’un des premiers à adopter la législation sur le Droit à l’information (Right to Information – RTI), en le reconnaissant tout d’abord dans la Constitution de 1990, puis en promulguant officiellement les lois relatives au droit à l’information (RTI) en 2007.
Freedom Forum a lancé un projet visant à utiliser le droit à l’information pour enquêter sur les CDF dans la totalité des 75 districts du Népal. L’organisation a demandé des informations exhaustives : des documents sur la façon dont les décisions de financement étaient prises, la ventilation des fonds, les détails sur les programmes, la conformité des dépenses par rapport aux recommandations du Conseil, et les rapports d’activité. À la suite d’un processus laborieux de demande d’informations, de demandes refusées, de dépôts de plaintes officielles et d’appels contre les décisions en sa défaveur, l’organisation a réussi à extraire les informations nécessaires pour 68 des 75 districts.
« Nous avons trouvé que la sélection des projets et des dépenses publiques n’étaient pas conformes aux dispositions réglementaires, » a déclaré Krishna Sapkota, Conseiller politique au Freedom Forum, « Les fonds n’a pas été utilisés pour réaliser les objectifs des allocations, mais ont été plutôt dépensés pour apaiser les cadres et les sympathisants du parti et non pas la population ».
Le Freedom Forum a révélé une série de petits projets qui avaient peu de liens avec le développement ou la lutte contre la pauvreté. Les fonds destinés aux communautés pauvres ont été consacrés à l’achat d’instruments de musique et au défraiement de groupes, et les fonds consacrés aux infrastructures de développement ont bénéficié aux monastères. Des milliards de roupies ont été consacrés à des petits projets qui ne répondaient pas aux normes réglementaires.
Travailler avec les médias
Le Freedom Forum avait formé des journalistes sur l’utilisation du droit à l’information pour révéler des histoires. Bien que de nombreux journalistes aient manifesté leur l’intérêt, ils ont souvent eu besoin d’aide pour gérer le processus laborieux et technique consistant à obtenir des informations auprès du gouvernement et connaître la situation réelle. La formation n’a pas abouti à une reprise notable d’histoires s’inspirant du droit à l’information dans les médias, mais elle a permis d’approfondir les relations de l’organisation avec les journalistes. Le Freedom Forum a conclu que la meilleure stratégie pour produire des histoires médiatiques à partir de demandes liées au droit à l’information était de jouer un rôle intermédiaire ; l’organisation traitera les demandes et les analyses sur le droit à l’information, puis travaillera avec les organisations médiatiques pour publier l’histoire.
La stratégie s’est avérée efficace. Une fois que le Freedom Forum avait établi la mauvaise gestion des CDF, l’organisation a contribué à la publication de certaines histoires avec certains des médias les plus performants au Népal. Himal Media, un magazine hebdomadaire populaire du Népal, a demandé officiellement d’utiliser les preuves recueillies grâce au droit à l’information sur plusieurs enquêtes d’investigation. Kantipur, le journal le plus vendu au Népal et Republica National Daily ont tous deux utilisé les résultats pour publier des histoires chocs.
Freedom Forum utilise désormais des demandes liées au droit à l’information pour collaborer avec les médias népalais sur une série d’autres histoires. Parmi ces histoires, l’on compte une enquête de neuf mois sur la compagnie pétrolière publique, l’évitement fiscal des entreprises locales qui peut représenter des milliards de pertes de recettes et la corruption potentielle au niveau des districts. Même si ce travail peut être laborieux, le modèle s’avère très efficace pour éclairer la mauvaise gestion des fonds de développement cruciaux au Népal.