La brèche de la transparence: les pays dépendants des ressources naturelles obtiennent de faibles qualifications dans l’Indice sur le budget ouvert (Open Budget Index, OBI)

LES OPINIONS PRÉSENTÉES DANS CETTE GAZETTE SONT DE L’AUTEUR
ET NE REPRÉSENTENT PAS NÉCESSAIREMENT L’OPINION DE L’IBP

La brèche de la transparence: les pays dépendants des ressources naturelles obtiennent de faibles qualifications dans l’Indice sur le budget ouvert (Open Budget Index, OBI)[*]

Un nombre considérable de pays en voie de développement se trouvent toujours attrapés dans le cercle vicieux de la pauvreté et de la stagnation; bien qu’ils disposent de vastes gisements de ressources naturelles. Il existe des études expliquant comment l’abondance en ressources naturelles va souvent de pair avec des indices de croissance plus lents et comment semble alors augmenter la possibilité selon laquelle les pays dépendants des ressources naturelles connaissent des résultats économiques, politiques et sociaux négatifs. Ce phénomène est connu généralement comme « la malédiction des ressources » ou « le paradoxe de l’abondance ».

Dans cette gazette, nous examinons empiriquement la nature et la magnitude de la transparence budgétaire dans les pays dépendants des ressources naturelles, comme base sur laquelle améliorer l’impact dans la gouvernance et le développement. Nous définissons la transparence budgétaire comme « la disponibilité totale de toute information fiscale pertinente de façon opportune et systématique ».[1]

Efforts pour expliquer et faire face à la «malédiction des ressources»

Il existe une tendance, de plus en plus populaire entre les économistes et experts en développement, à éviter les schémas de profil plus économique et technique – qui minimisent ou ignorent les facteurs politiques – pour comprendre et répondre à la « malédiction des ressources ». Au lieu de cela, ils donnent une plus grande importance à l’impact de la politique, la gouvernance et la gestion économique sur le développement des pays dépendants des ressources.

Ces dernières années, un certain nombre d’initiatives internationales ont été lancées comme réponse à ces défis de gouvernance. Celles-ci suivent la ligne du travail d’avant-garde de l’organisation « Global Witness » pour mettre fin au conflit, à la corruption et aux abus des droits de l’homme liés à l’exploitation des ressources. Par exemple, le Fonds monétaire international a introduit  des grandes lignes sociales sur la transparence des revenus dérivés des ressources naturelles pour compléter son approche de la transparence fiscale. L’initiative « Extractive Industry Transparency Initiative » (EITI, « Initiative pour la transparence de l’industrie extractive ») et la campagne « Publish What You Pay» (« Publie ce que tu paies ») ont fait la promotion de l’accès public à l’information sur les payements des compagnies d’industries extractives aux gouvernements. A travers « EITI Plus », la Banque mondiale fait en sorte que les pays participants proposent davantage que les rapports à l’EITI et que les critères d’audit pour inclure des rapports sur les revenus et dépenses dérivées des industries extractives et qu’ils s’efforcent pour relier la richesse des ressources avec de meilleurs résultats de développement.

En outre, le « Revenue Watch Institute » (« Institut de suivi des revenus ») et « International Budget Partnership » (IBP, « Partenariat budgétaire international ») travaillent pour développer la capacité des OSC et d’autres acteurs à l’intérieur des pays pour surveiller de façon indépendante les revenus et dépenses du gouvernement. De tels efforts peuvent, potentiellement, donner une perspective aux mécanismes aux travers desquels les acteurs internes disposant de pouvoir peuvent soutenir ou influencer un changement institutionnel.

Mesurer la transparence budgétaire dans les pays dépendants des ressources naturelles

Reconnaître que la gouvernance et les institutions sont importantes et accorder une plus grande attention aux thèmes comme la transparence, la responsabilisation et la participation de la société civile dans le processus budgétaire sont certains des principaux défis de la gouvernance que doivent surmonter les pays dépendants des ressources naturelles.

La transparence peut être le moyen d’améliorer la gouvernance économique à travers la combinaison de mécanismes. Ceci implique de renforcer la responsabilisation publique et la légitimité, faciliter la consistance et la prévisibilité des politiques et promouvoir un meilleur fonctionnement du gouvernement. Cependant, le lien entre transparence, gouvernance, politiques publiques et résultats de développement n’est pas quelque chose d’automatique; mais qui s’obtient à travers l’interaction de différents acteurs dont le gouvernement, les marchés et la société civile. En ce sens, une plus grande transparence permet au public de comprendre et de participer aux décisions politiques et de développer sa confiance dans le gouvernement.

En 2002, l’ « International Budget Partnership » a commencé à développer un instrument offrant une évaluation indépendante de la transparence budgétaire parmi différents pays. L’Open Budget Questionnaire a été conçu pour collecter des informations sur la disponibilité publique de l’information budgétaire et d’autres pratiques budgétaire. Le questionnaire se compose de 122 questions fondées sur les meilleures pratiques communément acceptées liées à la gestion financière publique.[2] La moyenne des réponses aux 91 questions se concentrant sur le contenu et le caractère opportun des sept documents budgétaires clé, que tous les pays doivent publier, a permis d’élaborer l’Indice sur le budget ouvert (IBO), lequel assigne des qualifications sur une échelle de 0 à 100.

Tableau 1. Indice sur le budget ouvert

Qualification de l’IBO

Pays

Offre des informations approfondies aux citoyens(81-100) France, Nouvelle Zélande, Afrique du Sud, Royaume-Uni, Etats-Unis
Offre des informations significatives aux citoyens(61-80) Botswana, Brésil, République tchèque, NorvègePérou, Pologne, Roumanie, Corée du Sud, Suède
Offre quelques informations aux citoyens(41-60) Bulgarie, Colombie, Costa Rica, Croatie, Ghana, Guatemala, Inde, Indonésie, Jordanie, Kazakhstan, Kenya, Malawi, MexiqueNamibie, Pakistan, Papouasie Nouvelle Guinée, Philippines, Russie, Sri Lanka, Tanzanie, Turquie
Offre des informations minimales aux citoyens  (21-40) Albanie, Algérie, Argentine, Azerbaïdjan, Bangladesh,CamerounEquateur, Salvador, Géorgie, Honduras, Népal, Ouganda, Zambie
Offre peu ou pas d’informations aux citoyens(0-20) AngolaBolivie, Burkina Faso, Tchad, Egypte,Mongolie, Maroc, Nicaragua, NigériaVietnam
Source: Adapté de “International Budget Project” (2006). Les pays dépendant des ressources naturelles sont en gras.

Des 59 pays inclus dans l’IBO 2006, 24 dépendent de leurs ressources. Comme on peut l’observer dans le Tableau 1, les pays dépendant de ressources (en gras) ont des qualifications sur la transparence budgétaire qui varient — l’Afrique du Sud, le Botswana, la Norvège et le Pérou sont certains des pays avec les meilleures qualifications — alors qu’un grand nombre de pays (dont le Nigéria et le Tchad) continuent d’offrir peu ou pas d’informations à leurs citoyens. Cependant, le fait que seuls quatre pays sur un total de 24 offrent des informations budgétaires significatives à leurs citoyens souligne l’existence d’une importante « brèche de la transparence ».

Il est important d’observer que les résultats de l’IBO peuvent exagérer le niveau de transparence dans beaucoup de pays dépendants des ressources naturelles. Ceci est particulièrement vrai dans les pays aux compagnies pétrolières nationalisées telles que SOCAR en Azerbaïdjan, dont les opérations ne sont pas évaluées dans l’IBO – et qui ont pour habitude d’être l’objet de dépenses exagérées hors du budget.

Cette brèche est également observable entre les qualifications moyennes des deux groupes. Les pays ne dépendant pas des ressources naturelles se profilent mieux (ils disposent de systèmes budgétaires plus transparents) que les pays dépendant de ressources naturelles. Pour ce groupe, la qualification moyenne de l’IBO est de 49.9, alors que pour l’autre groupe de pays elle est de 39.7. Si l’on assume que la transparence budgétaire est une alternative pour la bonne gouvernance économique, cette différence semble soutenir l’opinion selon laquelle les pays dépendants de ressources souffrent d’un déficit de gouvernance et se caractérisent par des gouvernements qui ne rendent pas de comptes et sont capables de dévier des ressources à des fins productives, promouvant des pratiques de gaspillage et de corruption.

Afin d’examiner cette question plus en profondeur, a été réalisée une comparaison des résultats de l’IBO et des résultats de l’Indice de développement humain (IDH) qui révise le revenu conjointement aux résultats sur l’éducation et la santé. La comparaison a révélé que les qualifications élevées de l’IBO correspondent à de meilleures conditions de développement humain. Bien que cette corrélation ne prouve pas que plus de transparence et de responsabilisation conduisent à plus de développement humain, elle représente cependant un appel à traiter les questions de gouvernance dans les pays riches en ressources naturelles.

Pétrole, transparence et démocratie

Une analyse postérieure de l’IBO 2006 par Michael Ross examine la relation entre la dépendance pétrolière, la transparence budgétaire et le niveau de démocratie. Ses résultats offrent une perspective additionnelle sur la « malédiction des ressources » et indiquent de possibles stratégies pour répondre à la divergence apparente entre la richesse des ressources et le développement économique et humain. L’analyse statistique de Ross trouve une corrélation entre les qualifications de l’IBO, l’échelle de mesure employée pour la transparence budgétaire et la production pétrolière.

Elle contrôle également l’influence du revenu sur le niveau de transparence d’une nation en utilisant la moyenne du PIB par habitant pour la même période que la variable de revenu. L’analyse de Ross suggère qu’après avoir contrôlé le revenu, il existe une corrélation négative entre la production pétrolière d’un pays et la transparence de son budget en 2006. En d’autres termes, alors que la production augmente, la transparence diminue.

Il est possible que cette corrélation provienne de la concentration régionale d’Etats producteurs de pétrole dans le monde, comme au Moyen-Orient et en Afrique où les budgets sont généralement moins transparents pour toute une série d’autres raisons. L’analyse de Ross a trouvé que la région n’a pas d’effet significatif dans la corrélation entre la richesse pétrolière et la transparence.

Il est possible également que la corrélation soit causée par l’effet de la démocratie – puisque beaucoup expliquent que la richesse pétrolière rend les Etats moins démocratiques et que les Etats moins démocratiques peuvent produire des budgets moins transparents. Le lien entre le pétrole et la transparence budgétaire peut en fait être traité sous l’angle d’un lien entre pétrole, démocratie et budget. Afin d’explorer cette possibilité, Ross contrôle le niveau de démocratie d’un pays et découvre que les niveaux les plus élevés de démocratie sont effectivement liés à des budgets plus transparents. Son inclusion dans l’analyse réduit l’impact de la production de pétrole dans la transparence et rend son impact moins significatif, statistiquement parlant. Ceci implique qu’une partie de l’impact négatif du pétrole sur la transparence budgétaire provient de l’impact nocif sur la démocratie. Cependant, même après avoir pris en compte le rôle de la démocratie, la richesse de la production pétrolière tend à réduire la transparence des budgets du gouvernement.

Discussion et conclusions

Dans cette gazette, nous tentons de réunir différents éléments de preuve reliant les thèmes de la transparence budgétaire, la dépendance des ressources, la démocratie et le développement dans le monde. Les recherches récentes se sont concentrées de plus en plus sur l’importance de la mauvaise gouvernance et des institutions faibles comme facteur clé derrière la « malédiction des ressources ». L’information de l’Indice sur le budget ouvert 2006 démontre que les pays dépendant de ressources souffrent effectivement d’une « brèche de la transparence » au sein de leur système budgétaire. Dans la mesure où le manque de transparence facilite la mauvaise gestion, la corruption et les détournements des dépenses consacrées au combat contre la pauvreté nécessaire pour garantir le développement, les gouvernements, la communauté internationale et les OSC doivent réaliser des efforts additionnels pour promouvoir la transparence budgétaire et la responsabilisation.

La conclusion de Ross selon laquelle la « brèche de la transparence » du budget peut être liée à la « brèche de la démocratie » a des implications importantes pour les organisations de la société civile. Si les budgets des pays producteurs de pétrole ne sont pas transparents du fait, en partie, que dans ces pays la démocratie est tronquée, alors les OSC peuvent faire en sorte que les budgets gouvernementaux soient plus ouverts et responsables à travers le renforcement de la démocratie. Ce travail est similaire aux efforts en Inde et dans des pays d’Afrique pour augmenter la participation publique dans l’implantation budgétaire au travers de méthodes telles que les bulletins citoyens, les audits sociaux et autres méthodes de suivi budgétaire communautaire. Ce travail peut également inclure des efforts pour approuver et garantir l’implantation et l’utilisation de lois de libre accès à l’information offrant un cadre légal pour la transparence et la participation publique dans les processus de prise de décisions.

[*]Cette gazette a été préparée sur la base d’un rapport plus ample écrit pour l’UNESCO par Paolo de Renzio (Overseas Development Institute), Pamela Gomez (IBP) et James Sheppard (London School of Economics and Political Science). Elle s’est fondée également sur la recherche additionnelle de Michael Ross (UCLA Department of Political Science). Pour recevoir le rapport de l’UNESCO, envoyer un message à a [email protected].

L’Indice sur le budget ouvert 2008, mesurant la transparence et la responsabilisation dans plus de 80 pays, sera publié le 1 février, 2009. Pour voir les résultats, aller sur www.openbudgetindex.org


[1] Organisation pour la coopération et le développement économique, 2001. OECD Best Practices for Budget Transparency. Public Management Committee, Public Management Service. Paris: OECD, p.1.

[2] La majorité des critères utilisés sont similaires à ceux développés par les organisations multilatérales, comme le Code des bonnes pratiques sur la transparence fiscale du Fonds monétaire international, et le  Code des bonnes pratiques sur la transparence fiscale de l’OCDE et la Déclaration de Lima sur les préceptes de l’audit publiés par “United Nations International Organization of Supreme Auditing Institutions” (INTOSAI).

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