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L’enquête sur le budget ouvert : un plaidoyer fondé sur les données

Il existe de nombreux classements et d’indices sur le Budget, mais celui-ci en est un qui a suscité un changement du niveau mondial au niveau des communautés (par la rue)

Alexander Cooley, auteur de « Ranking the World : Grading States as a Tool of Global Governance » (Classement du monde : classer les États comme un outil de gouvernance mondiale), dit qu’il a cessé de suivre les indices internationaux parce qu’il y en a trop, tout simplement. Les pays sont fatigués avec ces indices, dit-il. Ils ne savent pas où mettre leurs priorités, ils deviennent complaisants et refusent même de leur prêter attention.

Il y a cependant des exceptions – les classements mondiaux qui ont un impact considérable de l’influence sur les normes et standards mondiaux à la vie quotidienne sur le terrain. L’enquête sur le budget ouvert (EBO) d’IBP en fait partie, comme le montre cette histoire.

ADDITIONAL INFO

Voir les résultats de l’Enquête sur le budget ouvert 2019 qui examine la transparence, le contrôle et la participation du public dans 120 pays.

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UNE HISTOIRE : EXIGER LA REDEVABILITE DANS LES DÉPENSES D'ÉDUCATION

Tout au long de la 2015-2017, le Sénégal a été secoué à plusieurs reprises par des manifestations dans les rues. Méthode locale courante dont le public se sert pour exprimer son indignation, durant cette période, l’accent a été mis sur le fait que le gouvernement n’a pas payé les enseignants à tous les niveaux de l’éducation les salaires qui leur avaient été promis, le nombre croissant de ceux qui ont obtenu des contrats temporaires (et donc précaires) et le retard dans l’octroi de bourses essentielles aux étudiants dans le besoin.

« Tout le monde s’est uni contre le gouvernement », se souvient Cheikh Cissé qui dirige l’unité de gouvernance de l’ONG-3D, une organisation de la société civile au Sénégal fondée pour assurer la bonne gouvernance et la redevabilité en réponse à la décentralisation. « Les parents, les étudiants et les syndicalistes étaient constamment dans les médias et les écoles ont fermé à un moment donné pendant quatre mois. »

LES PROTESTATIONS DES ENSEIGNANTS, DES PARENTS ET DES ÉTUDIANTS ONT SECOUÉ LE PAYS.

Les différents manifestants se sont regroupés dans un seul organisme, une association appelée COSYDEP, pour maximiser leur impact. La COSYDEP s’est adressée à l’ONG-3D qui avait joué un rôle actif dans le suivi des dépenses de l’éducation au niveau local. La demande : « L’argent a été alloué dans le budget pour nous, mais nous ne savons pas où il va. Aidez-nous en négociant avec le gouvernement pour qu’il tienne compte de nos demandes. »

Dans le passé, le gouvernement sénégalais avait réagi aux manifestations avec violence, recourant souvent aux gaz lacrymogènes. Maintenant, c’était différent: « Le gouvernement faisait face à un mur », explique Cheikh. « Les manifestants avaient pris le dessus, en fermant les écoles et en faisant la Une des médias. »

« NOUS VOULONS ÉTUDIER, S’IL VOUS PLAÎT. » DE PART ET D’AUTRE, LES PROTESTATIONS N’ÉTAIENT PAS SOUVENT PACIFIQUES.

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UNE PLUS GRANDE IMAGE

Comme l’ONG-3D, Le Partenariat budgétaire international a été établi à une époque pleine de défis et de promesses.

« Tout un éventail de pays au cours des années 80 et 90 se dirigeaient vers la démocratie, ce qui a facilité la formation et le fonctionnement des organisations de la société civile », explique Vivek Ramkumar, directeur principal des politiques de l’IBP. « Au même moment, l’accent a été mis beaucoup plus sur la décentralisation, en particulier dans les finances publiques – ce qui signifie que plus d’argent a été débloqué pour la prise de décision au niveau local. »

Néanmoins, la position par défaut de nombreux gouvernements était le silence quand il s’agissait d’ouvrir les livres. En fait, comme les OSC et d’autres tentaient d’analyser les causes profondes des crises économiques des années 90 au Mexique, en Asie du Sud-Est et ailleurs, ils ont rencontré un manque criard d’informations sur ce que les gouvernements faisaient avec les fonds publics.

« Le temps était venu pour l’IBP de venir et de les aider à faire bouger les choses », se souvient Vivek, qui a rejoint l’organisation peu de temps après. « Des milliards de dollars sont encaissés et dépensés chaque année par nos gouvernements nationaux; les budgets montrent si leurs promesses de réduire les inégalités et de créer des opportunités pour les marginalisés ne sont que de la rhétorique ou une pratique réelle. »

DES REPRÉSENTANTS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE DU MONDE ENTIER RÉFLÉCHISSENT À DES APPROCHES DE PLAIDOYER AVEC LE PERSONNEL DE L’IBP.
VIVEK RAMKUMAR DISCUTE AVEC DES ORGANISATIONS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE PARTENAIRES LORS D’UNE RÉUNION À NAIROBI.

Cependant, les OSC qu’IBP a commencé à former à l’analyse budgétaire ont rapidement rapporté qu’elles ne pouvaient pas accéder aux chiffres sous-jacents dans leur pays. « Nous savions qu’il fallait leur donner plus de force lorsqu’elles cherchent à influencer leurs gouvernements », explique Vivek.

En 2006, IBP a mené son enquête sur le budget ouvert. Dans sa première ronde, l’enquête a évalué le degré de transparence (accessibilité publique) et de contrôle indépendant des budgets nationaux dans 59 pays, ainsi que le degré d’engagement des citoyens. Au cours des 13 dernières années, l’enquête s’est étendue à 117 pays sur six continents, devenant la seule évaluation comparative continue, menée de manière indépendante, de ce qui est désormais largement appelé « budgets ouverts. »

« Nous utilisons un réseau d’organisations locales de la société civile, de pairs examinateurs experts et des évaluateurs gouvernementaux, plutôt que de nous fier uniquement sur les auto-déclarations des gouvernements », explique Anjali Garg, responsable de l’Enquête sur le budget ouvert d’IBP. « Nous considérons les gouvernements comme des parties prenantes importantes dans le dialogue, mais le processus de collecte de données reste aussi indépendant que possible. »

Mis en place tous les deux ans, l’OBS permet des comparaisons dans le temps à l’intérieur et entre les pays et les régions – une niche unique et vitale dans un domaine d’études et d’activisme en expansion qui comprend d’autres parties prenantes de premier plan, telles que le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation pour le développement économique (OCDE) et le PEFA (programme d’examen des dépenses publiques et d’évaluation de la redevabilité financière).

ADDITIONAL INFO

L’IBP s’est associée à une grande variété d’autres organisations de la société civile internationale et locale pour lancer un appel à des budgets ouverts, exhortant les gouvernements du monde entier à s’engager en faveur de la transparence, du contrôle et de la participation du public.

 

UN APERÇU MONDIAL DE LA TRANSPARENCE BUDGÉTAIRE EN 2019, TEL QUE TROUVÉ PAR L’OBS

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UN SCORE, UN IMPACT GIGANTESQUE : NORMES MONDIALES ET RÉGIONALES

Lorsqu’IBP a choisi les paramètres à évaluer dans son enquête sur le budget ouvert, le point de départ était les normes déjà adoptées par le FMI, la Banque mondiale et les puissances régionales telles que l’OCDE.

« Nous avons tiré nos indicateurs d’enquête de ces normes établies parce que nous voulions nous assurer que nos partenaires de la société civile pouvaient défendre l’OBS auprès de leurs gouvernements », explique Vivek.

Mais au tout début, l’OBS a également servi d’influenceur à part entière. « Nous avons aidé à repousser les limites en introduisant des concepts tels que la nécessité d’avoir des budgets citoyens – des documents compréhensibles par le grand public – et la participation de la communauté à l’établissement et au suivi du budget », explique Vivek. « Et maintenant, nous commençons à mettre l’accent sur des secteurs spécifiques tels que la santé. »

LA PARTICIPATION DE LA COMMUNAUTÉ À L’ÉTABLISSEMENT ET AU SUIVI DU BUDGET EST UN OBJECTIF DE L’OBS.
Local fisherwoman Nilawati runs a training on diversifying income for other women in her community due to budget credibility issues facing fisherfolk in Indonesia.

Mais les normes et directives mondiales ne sont souvent que cela – des directives, à moins qu’elles ne soient liées à des approbations de prêts ou de dons. Une pression plus substantielle vient souvent au niveau régional, comme celle de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). En 2009, explique Quentin Gouzien, conseiller technique de la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) (Société allemande de coopération internationale), l’UEMOA a adopté six directives qui constituent un « cadre harmonisé pour les finances publiques ». Les États membres ont été mandatés pour incorporer les directives dans leur législation nationale, la plupart d’entre-elles se sont conformées en 2014.

« Depuis 2015, le personnel de l’UEMOA se rend chaque année dans tous les États membres pour évaluer la mise en œuvre des directives », explique Quentin. « Les directives de l’UEMOA animent l’agenda de la gestion des finances publiques dans la région. »

En retour, les directives de l’UEMOA ont été fortement influencées à la fois par le code de transparence budgétaire du FMI et par l’OBS d’IBP. En fait, dit Quentin, l’UEMOA exige que sept des huit documents spécifiés dans l’OBS soient accessibles au public. « Les exigences ne sont pas aussi strictes en termes de calendrier, cependant, et les directives sont encore trop muettes sur la participation du public. Nous avons donc encore du chemin à faire et l’OBS sera un facteur de motivation important. »

L’un des États membres de l’UEMOA est le Sénégal. Il a été inclus pour la première fois dans l’OBS lors de l’édition de 2008, obtenant un score très faible – 3 sur 100. Le gouvernement s’est engagé à déployer des efforts concertés pour améliorer ses résultats.

LA PORTÉE DE L’UEMOA
Local fisherwoman Nilawati runs a training on diversifying income for other women in her community due to budget credibility issues facing fisherfolk in Indonesia.

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VOICI À QUOI RESSEMBLE LE SUCCÈS

Parallèlement à la mise en œuvre du nouveau cadre de l’UEMOA, des donateurs tels que les États-Unis et l’Union européenne ont commencé à faire pression sur les gouvernements pour qu’ils soient plus ouverts.

« Tout s’est mis en place : l’USAID (l’Agence américaine pour le développement international) s’est référée à l’OBS et à ses résultats. Les organisations de la société civile utilisaient l’OBS et ses résultats. Et le ministère des Finances a commencé à s’appuyer sur l’OBS et ses résultats », explique Maleine Amadou Niang, responsable pays d’IBP pour le Sénégal et ancien employé de l’ONG-3D. « Il existe de nombreuses autres normes, mais l’OBS est plus convivial, ce qui en fait un outil puissant pour les organisations de la société civile qui ne sont pas vraiment des groupes budgétaires. Cela leur permet de comprendre rapidement la dynamique des budgets, d’identifier les défis et les opportunités, et de les mettre sur la table. »

Charles Emile Ciss, directeur Directeur de la Solde du Ministère des Finances du Sénégal, ajoute : « L’OBS a provoqué une révolution dans nos relations avec la société civile. Nous avons hésité longtemps à partager des informations fiscales. Mais quand les OSC ont commencé à nous parler en utilisant les preuves de l’enquête, nous avons compris à quel point il était important pour nous de dialoguer avec elles. Aujourd’hui, la transparence figure au premier rang des priorités de l’Etat du Sénégal. »

En 2015, le score de l’indice du budget ouvert du pays (dérivé de l’enquête et spécifique à la transparence) est passé à 43. En 2017, il était de 51. Cependant, ces améliorations spectaculaires ne se poursuivent souvent pas de façon linéaire; à cause de changements dans les administrations, de priorités concurrentes, etc., il est courant que les progrès atteignent un plateau ou que les scores régressent même de quelques points.

C’est pourquoi il est si important que l’OBS soit déployé régulièrement et en continu. Le plaidoyer ne peut pas s’arrêter.

Qu’en est-il de l’ONG-3D et des élèves, enseignants et parents qu’elle a cherché à aider?

Une des premières choses que l’ONG-3D a faites après avoir été approchée par COSYDEP a été de parler à l’USAID, qui soutient l’organisation de la société civile. L’enquête sur les dépenses nationales d’éducation a été un nouvel objectif pour l’ONG-3D, et l’USAID a commencé par en apprendre davantage sur l’enquête sur le budget ouvert (OBS) de d’IBP. C’est, selon l’USAID, la référence en matière d’évaluation de la transparence des budgets gouvernementaux.

Le Sénégal a commencé à participer à l’OBS en 2010, mais l’ONG-3D ne le connaissait pas très bien au-delà de son nom.

 

« En savoir plus sur l’OBS et les performances du Sénégal en la matière, nous a informés des huit principaux documents budgétaires que le gouvernement devrait publier », explique Cheikh. « Les deux rapports que nous avons trouvés les plus utiles sont le budget adopté (approuvé par le législateur) et les rapports en cours d’exercice. Et nous avons rapidement découvert que ce dernier n’incluait pas de défaillances, comme pour les salaires des enseignants, par exemple. Nous avons donc écrit au ministère des Finances et commencé à faire pression pour les rapports en cours d’année. »

Il poursuit : « Nous avons poussé jusqu’à ce que nous obtenions ce dont nous avions besoin pour obtenir une image complète de ce qui avait été alloué et de ce qui était dépensé – des informations obtenues grâce à la méthode d’OBS. Avec COSYDEP, nous avons rassemblé toutes ces données et amené les syndicats à la table avec le gouvernement. Nous avons fini par arriver à un accord de consensus qui a conduit à une modification du budget afin que le gouvernement puisse tenir ses promesses. Le lundi après notre réunion, les enseignants et les enfants étaient de retour à l’école. »

Les avantages pour l’ONG-3D et les constituants qu’elle sert étaient encore plus durables que cela.

« Depuis, nous obtenons les rapports dont nous avons besoin sans avoir à demander », explique Cheikh. « Nous sommes invités aux réunions. Notre relation avec le gouvernement a complètement changé. La collaboration que nous avons établie à la suite des manifestations a duré. »

Les représentants du gouvernement savent maintenant que la société civile utilise l’OBS. Nous pouvons étayer nos préoccupations par des preuves.

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